À Pâques, les 500 abonnements hebdomadaires aux paniers avaient été vendus, et la liste d’attente s’allongeait, s’exclame Frédéric Thériault de La Ferme Coopérative Tourne-Sol. Les paniers de légumes bios, issus de l’agriculture soutenue par la communauté (ASC), sont offerts durant 22 semaines, du début juin à la fin octobre, directement de la ferme, située à Les Cèdres, au Québec. Aux abonnements hebdomadaires s’ajoutent quelques abonnements pour des paniers toutes les deux semaines. La coopérative créée par cinq diplômés du campus Macdonald en 2004 nourrit 720 familles par année.
L’insécurité alimentaire
« En général, on vend les derniers paniers au début de la saison. Cette année, avec les préoccupations au sujet de l’insécurité alimentaire, la demande pour nos paniers, mais aussi pour nos commandes de semences, a fortement augmenté », ajoute Thériault, B. Sc. (AgEnvSc) 2004, M. Sc. 2008. « Les gens veulent acheter des produits locaux; ils veulent s’adonner au jardinage. Ils s’inquiètent de la provenance des aliments; même en l’absence de pénurie alimentaire, ça reste une préoccupation. »
Les inquiétudes sont liées à des craintes concernant la COVID-19, ainsi qu’aux mesures d’éloignement social et aux restrictions de voyage adoptées contre la pandémie. La demande de produits locaux est en hausse, notamment grâce au soutien du Québec à l’industrie locale via Le Panier Bleu, une plateforme en ligne qui relie les consommateurs et les entreprises du Québec.
Aux yeux de Mike Bleho, Dipl. Agric. 1981, coordonnateur du Centre de recherche horticole du campus Macdonald, l’insécurité alimentaire qui a été ressentie ces dernières semaines entraînera « une augmentation de la demande et des ventes de produits alimentaires locaux ». Grâce à l’attention croissante des médias, « plus de gens découvriront notre marché », affirme Bleho.
Une demande en croissance
« Une grande partie de ce que nous cultivons est destinée aux cafétérias du campus du centre-ville de McGill pendant l’année universitaire. Je ne pense pas que la situation changera beaucoup, sauf si les chefs commencent à avoir des difficultés à commander auprès de leurs fournisseurs habituels (ce qui pourrait se produire) », souligne Bleho.
En mai, le Marché Mac vend des plants de légumes aux jardiniers amateurs. « Cette activité devrait aussi se développer pour nous, selon moi », présume Bleho.
La croissance de la demande se traduit par une augmentation du stress et de la planification logistique pour la Ferme Tourne-Sol. « Heureusement, notre main-d’œuvre est stable, mais nous voulons qu’elle reste en sécurité et en bonne santé », dit Thériault.
La cofondatrice des Fermes Lufa, Lauren Rathmell, B. Sc. 2010, « travaille constamment avec les fournisseurs afin de pouvoir répondre à la demande de nos clients ». On y a aussi constaté une augmentation de la demande, avec l’inscription de nouveaux clients sur la liste d’attente et les commandes plus substantielles que passe chaque client. L’entreprise, qui nourrit 4000 personnes par jour, tout au long de l’année, se concentre surtout sur le service à ses clients existants, également connus sous le nom de Lufavores.
Les défis pour les producteurs
Si l’augmentation de la demande de produits et de plants de légumes s’avère profitable, les directives quant à l’éloignement social compliquent néanmoins le travail des équipes, selon Bleho : « Il faudra plus de temps pour accomplir toutes nos différentes tâches. Il faudra plus de personnel pour assurer le fonctionnement. »
Un autre défi est que « toute la chaîne d’approvisionnement du matériel nécessaire pour mettre les cultures en terre sera touchée », car nombre de fournisseurs de machinerie horticole sont basés en Europe. « Certains rouages ne sont pas encore en mouvement et nous constatons déjà des pénuries et des retards pour certains produits », a ajouté Bleho.
« Nous sommes une entreprise universitaire et nous avons, en tant que telle, des avantages/contraintes que d’autres n’ont peut-être pas », a indiqué Bleho. Cela dit, les autres producteurs contactés ont fait écho à ses préoccupations.
« Nous achèterons 11 000 boîtes et augmenterons les livraisons. En général, nos clients choisissent eux-mêmes leurs légumes dans les points de collecte », a expliqué Thériault. Les paniers déjà préparés se traduiront par moins de contacts et plus de sécurité, mais aussi par plus de coûts et un impact environnemental plus important, un aspect que la ferme essaie de réduire au maximum. L’autocueillette au jardin de la ferme sera aussi suspendue.
Rathmell a décrit des défis analogues quant à la logistique, aux préoccupations relatives à la main-d’œuvre et aux changements quotidiens. « Nous avons beaucoup communiqué avec nos Lufavores. Nous comptons les tenir au courant des mesures que nous prenons pour assurer la sécurité alimentaire, pour pratiquer l’éloignement social et pour modifier les méthodes de ramassage ou de livraison. »
Les aliments locaux sont la pierre angulaire du modèle des Fermes Lufa. La quatrième serre sur toit de l’entreprise, située dans la région de Montréal, sera terminée plus tard cette année et sera la plus grande du genre au monde.
En perspective
On ignore encore si la hausse de la demande sera positive à long terme pour les producteurs locaux et l’économie. « Les producteurs devront établir des relations avec notre clientèle et lui faire vivre une expérience formidable. J’espère que cela favorisera une plus grande sensibilisation du public au mouvement environnemental et à l’achat de produits locaux », de conclure Thériault sur une note positive.
« Personne ne connaît vraiment la direction que prendront les choses à l’avenir. Au cœur de l’action, c’est difficile de savoir si cela entraînera des changements à long terme. Mais j’ai bon espoir », de dire Rathmell.