Publié dans le McGill Reporter, 29 mars 2021. Reproduit avec permission.
Afin de marquer la Journée mondiale de l’eau (22 mars), le professeur en génie des bioressources Chandra Madramootoo aborde l’état de l’approvisionnement mondial en eau et les défis auxquels est confrontée la gestion de l’eau au Canada
Instituée par les Nations Unies en 1993 et soulignée tous les ans le 22 mars, la Journée mondiale de l’eau a pour but de célébrer l’importance de l’eau ainsi que sa gestion et sa préservation, tout en sensibilisant à la crise de l’eau sur la planète et en attirant l’attention sur l’objectif de développement durable des Nations unies – l’Agenda 2030 pour le développement durable.
Chandra Madramootoo, BSc(AgrEng)’77, MSc’81, PhD’85, professeur en génie des bioressources à McGill – qui siège au comité de direction du Cadre mondial sur la rareté de l’eau en agriculture – aborde le thème de la Journée mondiale de l’eau de cette année : Évaluer l’eau, et décrit les objectifs de l’Agence canadienne de l’eau du gouvernement fédéral, qui est en train d’être créée. Il contribue à cet effort.
Le thème de la Journée mondiale de l’eau de cette année était Évaluer l’eau – comment détermine-t-on au juste la valeur de l’eau?
Madramootoo : Le Rapport mondial sur l’évaluation des ressources en eau 2021, publié dans le cadre de la Journée mondiale de l’eau, souligne l’importance d’exprimer la valeur de l’eau et de l’utiliser pour prendre des décisions qui permettront d’atteindre les objectifs de développement durable des Nations unies. Le rapport souligne également que « l’incapacité à évaluer pleinement l’eau dans toutes ses différentes utilisations est considérée comme une cause profonde, ou un symptôme, de la négligence politique concernant l’eau et de sa mauvaise gestion ». Donc, si nous voulons améliorer la gestion des ressources en eau, nous devons commencer à explorer de nouvelles méthodologies et examiner la valeur de l’eau du point de vue de la gouvernance et des aspects sociaux, culturels et économiques.
La pandémie de COVID-19 a-t-elle eu un impact sur notre capacité à atteindre l’objectif de développement durable (ODD) de l’ONU pour l’eau?
Malheureusement, oui. Le même rapport note que certaines des personnes les plus vulnérables du monde, celles qui vivent dans des bidonvilles et des campements improvisés, ont été les plus durement touchées par cette pandémie. Le 6e ODD – garantir un accès universel à des services d’eau potable et d’assainissement – est essentiel pour prévenir la propagation de la COVID-19, mais l’objectif ne sera pas atteint d’ici 2030 comme prévu.
Dans le monde, plus de trois milliards de personnes et deux établissements de soins de santé sur cinq n’ont pas un accès adéquat à des installations d’hygiène des mains. Il faudra sans doute subventionner le service social essentiel qu’est l’eau et son assainissement si l’on veut progresser dans la réalisation du 6e ODD.
Comment l’état de notre approvisionnement mondial en eau influe-t-il sur la sécurité alimentaire et qu’est-ce que cela révèle de sa valeur?
En matière d’agriculture, les quelque 300 millions d’hectares de terres irriguées dans le monde produisent 40 % de la nourriture mondiale. L’agriculture irriguée est donc cruciale pour la sécurité alimentaire mondiale.
L’agriculture utilise environ 70 % des prélèvements d’eau douce dans le monde, mais l’eau destinée à la production alimentaire doit être mieux évaluée, compte tenu des nombreux avantages directs et indirects qu’elle procure, notamment sa contribution à la prospérité rurale, à la nutrition, à l’emploi, à l’ajout de chaînes de valeur, au maintien de la stabilité des approvisionnements alimentaires et à la réduction de la volatilité des prix des aliments. Le secteur agricole pourrait également bénéficier de l’évaluation des usages multiples de l’eau, particulièrement en lien avec la protection de l’environnement. Cela comprend la mise en place de bandes tampons riveraines, la conservation des zones humides et la plantation de cultures qui améliorent la qualité des sols et de l’eau et réduisent l’utilisation de l’eau en agriculture. Ces types d’avantages sociétaux doivent être reconnus dans le cadre de l’évaluation de l’eau agricole.
Comment l’eau est-elle gérée au Canada? Quels sont certains des plus grands défis?
Au Canada, la gouvernance de l’eau est complexe; la ressource est pluridisciplinaire et concerne plusieurs domaines, notamment les ressources naturelles, l’exploitation minière, l’environnement, l’agriculture, la santé, le climat, l’énergie et la pêche, par exemple.
En vertu de la Constitution, l’eau relève de la compétence des provinces et des territoires, mais le gouvernement fédéral a compétence sur les eaux transfrontalières et internationales et sur l’approvisionnement en eau des communautés des Premières Nations. Pour compliquer encore plus les choses, plusieurs ministères fédéraux et provinciaux sont chargés d’administrer les politiques et les programmes liés à l’eau, tandis que les municipalités gèrent les infrastructures d’approvisionnement en eau et de traitement des eaux usées à l’échelle locale. La combinaison de ces facteurs rend très difficile l’adoption d’une approche cohérente et unifiée en matière de gestion de l’eau et peut entraîner des conflits entre les utilisateurs de l’eau.
Depuis l’adoption de la Loi sur les ressources en eau du Canada en 1970, nous avons observé de nombreux agents de stress dans le système d’approvisionnement en eau. Mentionnons par exemple la dégradation de la qualité de l’eau, les dommages irréparables causés au biote d’eau douce, les inondations et les sécheresses extrêmes dues aux changements climatiques, les maladies et les contaminants dans l’eau potable et les conditions déplorables en matière d’eau et d’assainissement dans les communautés des Premières nations.
Comment et pourquoi l’Agence canadienne de l’eau a-t-elle été créée et quel était votre rôle?
Le premier ministre a confié au ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada, en collaboration avec le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire du Canada, le mandat de créer une Agence canadienne de l’eau afin de répondre au besoin d’une meilleure coordination et à l’urgence de trouver des solutions aux problèmes décrits ci-dessus. Le gouvernement fédéral a tenu une série de consultations avec des intervenants pendant trois mois afin d’orienter le cadre de la création de l’Agence canadienne de l’eau. Mon rôle a d’abord été de faire partie d’un groupe qui a examiné le rapport de Peter Pearse de 1985 sur la politique fédérale en matière d’eau, qui a servi de point de départ, puis de diriger la consultation sur l’agriculture et l’eau douce en janvier dernier.
Quels types d’objectifs l’Agence canadienne de l’eau espère-t-elle atteindre?
L’objectif général de l’Agence est de moderniser la législation canadienne sur l’eau et, en collaboration avec les provinces et les territoires, de créer une agence nationale capable de proposer des approches novatrices en matière de gouvernance de l’eau et d’appliquer la science intégrative la plus récente pour une ressource hydrique plus résiliente. C’est aussi une occasion unique de faire progresser les efforts de réconciliation avec les peuples autochtones du Canada, pour qui l’eau est une ressource sacrée.
L’une des possibilités discutées a été la collaboration afin de faire progresser les stratégies de gestion de l’eau douce adaptées à une région, comme la prise en compte des priorités communes de gestion de l’eau dans les Prairies canadiennes. Cette démarche est maintenant bien engagée avec l’annonce que les gouvernements du Canada et de la Saskatchewan investiront 4 M$ pour développer les infrastructures d’irrigation dans cette province. Par ailleurs, l’Alberta consacrera 815 M$ à l’amélioration des infrastructures et au développement d’un stockage supplémentaire de l’eau à l’écart des cours d’eau.
Il s’agit d’investissements considérables et les plus importants jamais réalisés au cours des dernières décennies pour assurer la sécurité de l’eau et des aliments au Canada. Ce n’est qu’un des nombreux domaines dans lesquels l’Agence canadienne de l’eau assurera un leadership à l’échelle nationale et internationale.